Le droit et le devoir aux Comores : une matrice de conflits intra et interfamiliaux

Les Comores sont marquées par une société riche en traditions et en coutumes, qui, bien que profondément ancrées, peuvent parfois engendrer des conflits internes, notamment au sein des familles. Les notions de droit et de devoir sont perçues de manière très particulière aux Comores et se distinguent de celles en vigueur dans d’autres sociétés, ce qui est à l’origine de la plupart des conflits intra et interfamiliaux dans le pays. Ces conflits trouvent leur racine dans une structure sociale unique, caractérisée par un système matrimonial et familial qui repose largement sur la filiation maternelle, entraînant parfois des malentendus et des tensions. Le cas de la gestion des héritages, la responsabilité parentale et les relations entre les membres de la famille sont des exemples typiques de ce phénomène.

Une société matrilinéaire aux bases conflictuelles

La société comorienne se distingue par sa matrice matrilinéaire, une structure sociale dans laquelle les liens familiaux et héritiers sont souvent basés sur la lignée maternelle. Contrairement aux  traditions musulmane et  occidentale, où la famille se structure autour du père. Aux Comores, c’est la mère qui joue un rôle central dans la gestion des affaires familiales, y compris dans les relations conjugales. Traditionnellement, une femme accueille son mari chez elle, et en cas de divorce, c’est le mari qui doit quitter le domicile. Ce modèle, en soi, n’est pas nécessairement problématique ; toutefois, il peut provoquer des conflits lorsqu’il entre en contradiction avec des attentes culturelles ou légales issues d’autres systèmes familiaux.

Un autre aspect fondamental de ce système est l’attachement particulier que les enfants développent pour leurs oncles maternels. Dans la société comorienne, il est fréquent que les enfants se réfèrent à leurs oncles comme à des figures paternelles, parfois au détriment des relations avec leur propre père. Ce phénomène est encore plus marqué dans certaines régions, comme à Mbadjini, au sud de Ngazidja, où les gens jurent au nom de leur oncle plutôt qu’au nom de leur père. Cette situation peut prêter à confusion et engendrer des conflits, en particulier dans un contexte où les enfants sont supposés être liés à la fois à leur père et à leur mère.

Le phénomène de “matrilinéarité exagérée”, comme il est parfois désigné, prend une dimension encore plus complexe lorsqu’il s’agit de la gestion des biens et des responsabilités familiales. Les rôles traditionnels attribués aux hommes et aux femmes, et plus particulièrement aux oncles maternels, créent des frictions sur les questions liées à la gestion des héritages, à l’éducation des enfants, et même à la manière dont les biens sont distribués au sein des familles après la mort des membres âgés.

Des conflits liés à l’héritage et à la gestion des défunts

L’un des domaines où cette matrilinéarité crée des conflits est celui de l’héritage. Lorsque meurt un membre âgé d’une famille, les deux branches de la famille, c’est-à-dire la famille paternelle et la famille maternelle, peuvent se disputer la dépouille du défunt. Ce phénomène est d’autant plus complexe qu’il s’agit d’une question non seulement culturelle, mais aussi religieuse et juridique. En effet, le droit musulman, qui régit une grande partie des pratiques sociales aux Comores, stipule des règles claires concernant l’héritage et la gestion des biens après la mort. Or, cette pratique de la matrilinéarité va parfois à l’encontre de ces règles religieuses.

De plus, ce type de conflit sur la gestion des biens et des droits du défunt peut être exacerbé par un manque de régulation légale. Il n’est pas rare de voir des familles entières se livrer à de longues batailles juridiques sur la propriété des biens du défunt, alors que ces conflits pourraient être évités par une législation claire et adaptée aux réalités culturelles du pays. Cette situation engendre non seulement des tensions au sein des familles, mais elle risque également de diviser davantage les communautés comoriennes.

### Sacrifier les enfants pour le bien-être des neveux

Un autre aspect de cette dynamique familiale est la tendance chez certains comoriens à sacrifier leurs propres enfants pour le bien-être des neveux. Cela peut se traduire par des décisions éducatives ou économiques où les parents privilégient leurs neveux par rapport à leurs enfants biologiques. Par exemple, des parents peuvent décider de pendre en charges les frais scolaires de  leurs neveux  à la place de leurs propres enfants, ou de leur attribuer une plus grande part d’héritage, au nom de la préservation du lien maternel. Bien que cette pratique puisse être justifiée par des raisons culturelles ou sociales, elle a des répercussions importantes sur les relations familiales, créant souvent des jalousies et des conflits intergénérationnels. Cette situation montre comment une pratique ancestrale peut, lorsqu’elle est poussée à l’extrême, causer des fractures au sein de la famille élargie.

 Les défis d’une législation adaptée

Face à cette complexité, J’estime qu’il serait bénéfique pour le pays d’introduire une législation spécifique qui pourrait encadrer les pratiques familiales afin de prévenir les conflits. Une loi sur l’héritage et la gestion des biens après le décès pourrait par exemple clarifier les droits et devoirs des différents membres de la famille, qu’ils soient issus de la lignée maternelle ou paternelle. Une telle loi pourrait non seulement prévenir les disputes sur les héritages, mais aussi permettre de mieux gérer la transition après un décès, en évitant les conflits autour des biens et du corps du défunt.

Cependant, l’introduction d’une telle loi soulève plusieurs questions : comment intégrer les spécificités culturelles de la société comorienne tout en respectant les principes universels du droit ? Une loi imposant une hiérarchie stricte entre les membres de la famille pourrait risquer de heurter les traditions locales et de renforcer les tensions plutôt que de les apaiser. Ainsi, il semble nécessaire d’adopter une approche qui tienne compte de la complexité des pratiques culturelles et des réalités sociales, tout en apportant des garanties de justice pour toutes les parties concernées.

En somme, les conflits familiaux aux Comores sont en grande partie dus à des conceptions divergentes des droits et des devoirs, en particulier en ce qui concerne la gestion des relations familiales et des héritages. La structure matrilinéaire, qui fait partie intégrante de l’identité sociale et culturelle du pays, est à la fois une richesse et une source de tensions. Les pratiques qui en découlent, notamment en matière d’héritage et de gestion des défunts, montrent que le pays pourrait bénéficier d’une législation qui encadre ces pratiques tout en respectant les traditions. Une telle législation pourrait offrir un cadre clair pour la gestion des biens familiaux et des responsabilités après le décès d’un membre, tout en apaisant les tensions et en favorisant la réconciliation au sein des familles.

Dans un contexte où les tensions familiales et communautaires peuvent dégénérer en conflits plus larges, il devient urgent de trouver un équilibre entre la préservation des traditions et l’établissement de lois modernes qui puissent garantir une coexistence pacifique au sein de la société comorienne. La législation doit donc s’efforcer de répondre aux défis actuels sans effacer les spécificités culturelles et sociales des Comores, la loi musulmane n’étant pas appliquée

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