Entre Traditions et Conflits : L’Affrontement à l’Aéroport de Hahaya, une Réflexion sur le Rapport entre les Vivants et les Morts aux Comores

Le lundi 28 avril 2025, un affrontement d’une rare intensité s’est déroulé à l’aéroport international de Hahaya, aux Comores, entre deux groupes d’individus originaires de localités différentes. La raison de cette confrontation ? La dispute concernant le lieu d’inhumation d’un défunt, mort à l’étranger mais devant être enterré aux Comores. La scène, filmée en direct et suivie par plus de 100 000 Comoriens sur les réseaux sociaux, a mis en lumière une réalité sociale complexe : la gestion des corps des défunts, particulièrement ceux qui viennent de l’étranger, et les tensions intercommunautaires liées à cette pratique. Cet incident n’est cependant pas isolé, mais fait partie d’un phénomène culturel plus large, où les traditions, les croyances et les rapports sociaux entrent en jeu d’une manière parfois violente.

Un Affrontement Symbolique et Réel

L’affrontement entre les deux groupes à l’aéroport de Hahaya est d’abord un affrontement symbolique : celui de la revendication du dernier lieu de repos du défunt. Le corps d’un mort, au-delà de sa dimension biologique, revêt une importance considérable dans la culture comorienne. Le lieu d’inhumation est le dernier geste d’amour et de respect que la famille peut offrir au défunt. Aux Comores, où les liens familiaux sont très forts et où l’attachement à la terre est primordial, chaque localité revendique une forme de « légitimité » pour recevoir le corps d’un défunt. Ces territoires sont souvent perçus comme des extensions des ancêtres, des lieux sacrés où l’histoire familiale s’écrit à travers les générations.

Mais l’incident de l’aéroport de Hahaya a révélé une autre dimension : celle de l’exacerbation des conflits familiaux. Les deux groupes en question étaient dirigés par des demi-frères, ce qui rend l’affrontement encore plus personnel et poignant. La dispute ne portait pas seulement sur un territoire ou sur une coutume, mais aussi sur la reconnaissance de l’autorité familiale et sur les rôles que chacun doit jouer dans le processus funéraire. La violence, bien que rare dans un espace public tel que l’aéroport, est l’aboutissement de cette lutte symbolique pour le contrôle du dernier geste familial envers le défunt.

Un Phénomène Récurrent : Les Conflits sur l’Enterrement des Morts à l’Étranger

Bien que l’affrontement de Hahaya ait pris une ampleur médiatique particulière grâce aux réseaux sociaux, il n’est ni le premier ni le dernier à se produire aux Comores. Les conflits autour du corps des défunts venant de l’étranger sont récurrents. En effet, de nombreuses familles comoriennes qui vivent à l’étranger, notamment en France, rencontrent des difficultés lorsqu’un proche décède. L’acheminement du corps au pays et la question du lieu d’inhumation suscitent souvent des tensions.

Les habitants d’Iconi et de Tsidjé, par exemple, ont des histoires similaires à raconter, où des conflits ont éclaté sur la « maison » où le corps devait être déposé avant d’être transféré au cimetière. Parfois, les désaccords prennent des formes violentes, mais la violence est généralement contenue au sein des localités. Ce qui est singulier avec l’incident de l’aéroport de Hahaya, c’est qu’il a eu lieu dans un espace public, symbolisant ainsi l’exposition de ce phénomène aux regards du monde, amplifiée par la transmission en direct sur les réseaux sociaux.

Un autre exemple marquant est celui de N’tsouéni, où il n’y a pas eu de violence physique, mais une profonde blessure morale a été infligée à la fille unique du défunt. Cette dernière, qui n’avait pas vu son père depuis plus de 20 ans, a été rejetée dans sa demande d’approcher le cercueil contenant les restes de son père. Ce rejet a eu un impact psychologique profond sur elle, l’empêchant de faire son deuil et de vivre ce moment selon ses propres termes. Ce cas illustre bien le caractère émotionnel et psychologique de ces conflits, qui ne sont pas seulement liés à la gestion matérielle du corps du défunt, mais aussi à des questions de légitimité familiale et de relations de pouvoir.

### Une Explication Sociologique et Anthropologique

Derrière ces conflits, il existe une dynamique sociale complexe, qui dépasse la simple question du corps du défunt. Les enjeux sont d’abord culturels, car aux Comores, les rites funéraires sont d’une importance capitale. Le rapport entre les vivants et les morts, souvent interprété de manière sociologique, fait écho à des pratiques ancestrales et à des croyances profondément enracinées dans la culture comorienne.

D’un point de vue anthropologique, le corps d’un défunt n’est pas seulement perçu comme une simple dépouille. Il représente une continuité, un lien entre les générations passées et celles à venir. Il est aussi un vecteur de pouvoir, de mémoire et d’identité. Lorsqu’un corps doit être enterré dans une localité particulière, il est perçu comme un moyen de légitimer un territoire, une famille, une lignée. C’est là que les conflits prennent une tournure plus violente, car la gestion du corps du défunt devient une manière de revendiquer un héritage, une place dans l’histoire et une certaine forme de reconnaissance sociale.

Les morts, dans la culture comorienne, ont un pouvoir symbolique considérable. Ils sont considérés comme des protecteurs et des guides spirituels. Le défunt appartient non seulement à sa famille immédiate, mais à toute la communauté. C’est pourquoi le lieu de son enterrement, souvent en relation avec des ancêtres, revêt une importance capitale. Cependant, ces pratiques sont confrontées à des évolutions sociales et économiques, notamment avec la migration. L’arrivée de corps provenant de l’étranger dans les familles comoriennes met en lumière la tension entre les traditions locales et les nouvelles réalités sociales, où les familles sont dispersées, souvent coupées de leurs racines.

Une Réflexion sur l’Évolution des Rites Funéraires aux Comores

L’incident à l’aéroport de Hahaya du 28 avril 2025 est un révélateur de la complexité des relations entre les vivants et les morts aux Comores. Si les conflits autour des funérailles ne sont pas nouveaux, leur médiatisation par les réseaux sociaux a permis d’attirer l’attention sur ces luttes invisibles, qui se déroulent souvent loin des regards publics. Les tensions familiales et communautaires liées à la gestion des corps des défunts sont un aspect essentiel de la société comorienne, ancrée dans une culture forte de rites et de traditions, mais aussi confrontée aux changements sociaux contemporains.

Les Comores se trouvent à un carrefour : celui de l’héritage ancestral et des influences modernes. Ces affrontements autour des funérailles sont le reflet de ce dialogue parfois difficile entre tradition et modernité. Il est important de comprendre que ces conflits ne sont pas simplement une question de territoire ou de pouvoir, mais qu’ils sont avant tout une manifestation de la relation profonde que chaque individu entretient avec ses ancêtres, ses racines et son identité. Une réflexion sur ces pratiques pourrait permettre de mieux comprendre les enjeux sociétaux actuels et d’ouvrir un espace pour une évolution respectueuse des traditions tout en répondant aux réalités du monde moderne.

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