Aux Comores, un phénomène alarmant prend de l’ampleur : les communautés prennent la loi entre leurs mains. Lorsqu’un individu est accusé de vol, l’histoire se termine souvent dans le sang, avec des lynchages publics ou des violences extrêmes infligées au présumé coupable. Tout ce qu’il faut pour que ce cycle de violence se déclenche est un cri : ‘Voleur !’ Voilà comment, dans certaines régions, la justice est rendue sans aucune intervention des autorités judiciaires ou politiques. En tant que sociologue, cette dynamique de justice communautaire m’interpelle et mérite une réflexion sur ses causes, ses conséquences et les solutions possibles.
1. La justice communautaire: un mécanisme ancien, mais dangereux
Les pratiques de justice communautaire ne sont pas nouvelles. Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, il existait des formes de régulation sociale où les membres de la communauté résolvaient eux-mêmes les conflits, souvent à travers des formes de médiation ou de sanctions collectives. Cependant, ce système, censé garantir l’équité, peut se transformer en une justice expéditive et violente, sans fondement juridique ni droit à la défense. Aux Comores, il suffit parfois d’une accusation non fondée pour que la foule se fasse justice, en frappant l’accusé, parfois jusqu’à la mort. Les témoins de ces scènes sont souvent désemparés, mais peu osent intervenir par peur de devenir eux-mêmes victimes de la colère collective.
2. Le rôle de la société et des autorités
Ce phénomène soulève plusieurs questions sociologiques. D’une part, il traduit un dysfonctionnement dans le système judiciaire. Les autorités politiques et judiciaires semblent absentes face à ce type de violence. Cela démontre un manque de confiance dans les institutions officielles. En l’absence de véritables mécanismes de justice et de répression contre ces actes, les communautés prennent l’initiative de faire régner l’ordre elles-mêmes, mais à quel prix ? D’autre part, cette dynamique reflète des tensions sociales profondes, liées à des inégalités économiques, sociales et politiques. Les victimes de lynchages publics sont souvent des personnes vulnérables, issues de milieux pauvres ou marginalisés. Le vol, dans ce contexte, devient non seulement un crime, mais un symbole des frustrations et des inégalités persistantes dans la société comorienne.
3. Les conséquences sociales et psychologiques
Outre les effets immédiats sur les victimes, cette pratique de justice expéditive a des conséquences à long terme sur le tissu social. Elle renforce la peur, la méfiance et l’anarchie dans les communautés. De plus, elle nourrit une culture de la violence où le recours à la force devient la norme, plutôt que la résolution pacifique des conflits. Pour les familles des victimes, l’impact psychologique est profond, marquant durablement les relations interpersonnelles et l’intégrité de la société.
4. Comment combattre cette barbarie ?
Il est impératif de restaurer l’autorité de l’État de droit et de renforcer le système judiciaire. L’éducation à la citoyenneté, au respect des lois et des droits humains doit être une priorité. Les Comores doivent investir dans la formation des forces de sécurité, dans la mise en place de mécanismes judiciaires fiables et accessibles, et dans la promotion d’un dialogue ouvert entre les autorités et la population. Par ailleurs, une réflexion sur la justice sociale et les inégalités doit être engagée. La pauvreté, l’absence d’opportunités économiques et le sentiment d’impuissance face à un système politique défaillant sont autant de facteurs qui poussent les individus à recourir à la violence. Un travail de fond, visant à améliorer les conditions de vie des populations, est essentiel pour restaurer la paix et la sécurité sociale.
En conclusion, se faire justice soi-même est une pratique dangereuse et dévastatrice. Aux Comores, il est urgent de mettre fin à cette barbarie. Pour cela, nous devons restaurer la confiance dans nos institutions, garantir une justice équitable et accessible, et promouvoir des valeurs de paix et de respect des droits de l’homme. Il ne faut pas seulement condamner ces violences, mais surtout agir pour les prévenir. Le changement passe par la construction d’un environnement où la justice et la dignité humaine sont au cœur des préoccupations.